dimanche 30 novembre 2008

Pavlov et les armes de service

Cela ne manque jamais : un drame impliquant une arme de service, comme le récent suicide du neveu de Christoph Blocher, amène automatiquement et immédiatement des commentaires pleins de hauteur et d'indignation sur la nécessité de retirer immédiatement toutes les armes de services aux citoyens-soldats de ce pays et de les entreposer à l'arsenal. Le réflexe est devenu pavlovien : l'information provoque la réaction habituelle, sans égard à la victime ou aux circonstances du drame.

Ce conditionnement médiatique n'est évidemment pas fondé sur des faits : les recherches scientifiques sur la violence et les armées - citées par la Weltwoche, ce qui n'est pas insignifiant d'un point de vue politique - montrent en effet que la Suisse compte à la fois la plus haute densité d'armes à feu en Europe et le plus bas taux d'homicides ; de plus, malgré les affirmations fracassantes faites depuis des années par le professeur Killias et reprises sans discernement par les médias sur les "300 morts par année dus aux armes de service", avant tout des suicides, des chiffres plus solides que les estimations du criminologue montrent une proportion nettement inférieure.

En d'autres termes, ce n'est pas en retirant toutes les armes de service que l'on règlera le problème de la violence domestique ou les causes de suicide, ne serait-ce que parce qu'elles ne sont impliquées dans une petite minorité des cas. Du reste, les cas de meurtres commis à l'arme blanche, qui contreviennent au conditionnement contre fusils d'assaut et pistolets militaires, sont traités comme des faits divers sans signification d'ensemble - alors qu'ils sont tout autant dignes d'attention et qu'ils représentent une cause de violence statistiquement plus importante. Bien entendu, ils ont l'inconvénient de rappeler que les armes, à de très rares exceptions près (dysfonctionnement), ne tuent pas : ce sont les êtres humains qui tuent.

Il vaut la peine de se demander pourquoi un tel réflexe pavlovien a pu naître au sein de la classe médiatique. Je ne pense pas que l'opposition automatique à tout ce qui est militaire soit une hypothèse valable : nous ne sommes plus dans l'atmosphère insouciante qui baignait la fin de la guerre froide, et les métastases terroristes des conflits de notre temps mobilisent régulièrement l'attention. Non, je penche plutôt pour ce maternalisme rampant de notre société, pour cette parentalité de substitution qui remplace de plus en plus la perception des jeunes adultes dans notre pays. Un mort par fusil d'assaut militaire ? Mon Dieu, protégeons vite tous ces gens en danger et retirons sans tarder ces vilaines armes ! Toute victime est une victime de trop !

Il y a donc des courants profonds qui semblent expliquer ces réflexes de surface. Une volonté tellement tranchée d'ignorer la fragilité de la vie, une crainte tellement sourde de perdre tout ou partie de l'existence dorée que nous menons, que du coup les tueurs deviennent des victimes et leurs armes des outils criminels, sans lesquelles rien ne se serait produit. Un peu comme si une génération hyperconcernée tentait de surprotéger tous ceux qui l'entouraient, tout de suite et à tout prix, parce que rien ne compte davantage que ne pas laisser entre nos doigts ce que la providence y a mis. Une tendance que l'on peut également voir à l'oeuvre sur le thème du réchauffement planétaire, où le conditionnement prend une dimension sans comparaison.

Dans les faits, pour en revenir aux armes de service (comme pour les armes privées), les dispositions légales permettent de les retirer aux personnes instables ou menaçantes, et ce sont donc leurs proches qui doivent accomplir la démarche, jamais facile, aboutissant au dépôt de ces armes. Traiter en bloc tous les citoyens-soldats est donc une manière d'éviter de désigner une poignée d'individus comme instables ou menaçants, comme bourreaux - fut-ce d'eux-mêmes - et non victimes. Et surtout de ne pas se demander comment un citoyen-soldat auquel on retire son arme personnelle en-dehors du service peut ensuite accepter de prendre des risques sous l'uniforme pour la société qui le considère comme une menace pour lui-même ou pour les autres...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Mon colonel, comme vous parlez de Pavlov, ne pensez-vous pas que l'exemple de la transformation de ces deux dernières années de l'armée israélienne est l'exemple à suivre pour l'armée suisse et qu'il serait grand temps de mettre un terme à ce que Pierre Razoux décrit comme "Elle a réappris le combat d'infanterie, elle a dû remotiver ses cadres, qui ne restent plus à l'arrière pour commander derrière leurs ordinateurs." ?

http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2009/01/itw-razoux.html

Anonyme a dit…

C'est exactement mon sentiment.
Les gens veulent de plus en plus hygièniser la vie. La mort sans la mort, sans fatalité. Ils se privent par là des petites blessures desquelles naissent de grands sentiments.