lundi 31 décembre 2007

Le dilemme de la dissymétrie

Un commentaire de Franck Boizard au billet précédent comprenait le paragraphe suivant : "C'est pourquoi, si l'on me dit qu'une armée est inapte à une mission impliquant des opérations de police, une action psychologique, une conquête "des coeurs et des âmes", une "pacification", je dis que ce n'est pas l'armée qui est inadaptée, je dis que c'est la mission qui est mal choisie."

La question qui se pose est celle-ci : est-ce que l'action psychologique mentionnée est liée à la mission reçue, et donc choisie au niveau politique, ou est-ce qu'elle est la conséquence des modalités de sa mise en oeuvre, et donc également des aspects militaires ? Je penche clairement pour la deuxième possibilité, même si l'une n'exclut pas l'autre, car l'évolution des formes de guerre est ici en jeu.

Que l'on se représente les options stratégiques disponibles face à une armée de type occidental moderne, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, avec la brutale augmentation de son efficacité destructrice : que faire d'autre qu'éviter le combat frontal ? En fait, c'est la dissymétrie des formations militaires conventionnelles, c'est-à-dire leur supériorité déterminante dans un domaine de la lutte, qui dans ce cas provoque l'asymétrie, c'est-à-dire la recherche d'une action dans un tout autre domaine. D'où les guerres sociétales que nous connaissons, subissons et perdons depuis un demi-siècle, à force de croire que l'action militaire - en accord avec les traditions des armées - se résume à l'application ouverte et maximale de la force, comme une sorte de verdict divin tiré du champ de bataille...

Ceci est connu. Ce qui l'est sans doute moins, c'est que les opportunités offertes par les asymétries modernes, créées aussi bien par les forces des armées que par les faiblesses des sociétés qu'elles visent à défendre, peuvent très bien être également exploitées dans une situation de conflit interétatique classique - et donc le seraient immanquablement. En d'autres termes, si la notion de combat "force contre force" n'est pas périmée, l'idée selon laquelle ce combat résume l'ensemble de la lutte l'est assurément. Les armées n'ont pas le choix : elles peuvent et donc doivent conserver et développer des capacités symétriques, mais cela ne les prémunit de la dimension sociétale propre aux conflits de notre ère. A une époque où les champs de bataille se confondent aux sociétés entières, c'est bien le moins !

L'équilibre des orientations, la flexibilité des formations et la créativité du commandement sont des caractéristiques militaires qui ont aujourd'hui une nouvelle signification...

mercredi 26 décembre 2007

Un problème de perspective

Ces dernières semaines, à l'occasion de diverses expériences que je ne peux rapporter ici, je me suis rendu compte à quel point les armées conventionnelles sont encore tournées, dans leurs processus de planification comme de conduite de l'action, vers le combat symétrique de haute intensité. Cette orientation se manifeste en particulier par le fait que chaque formation et chaque état-major recherche avant tout la maîtrise d'un espace physique donné, correspondant au secteur d'engagement dessiné par l'échelon supérieur (ou, au niveau armée, par les frontières nationales). L'espace psychologique constitué par les êtres intelligents situés physiquement dans cette zone n'est guère pris en compte. Les "soft factors" sont complexes, difficiles à mesurer, et donc largement ignorés. On se raccroche à ce que l'on connaît, à ce que l'on sait.

Ce repli intellectuel est un luxe que ne peuvent se permettre les armées engagées dans des conflits de basse intensité, comme le montre l'exemple de l'Irak, où les pertes subies par les forces armées américaines ont fortement contribué à l'application d'une doctrine de contre-insurrection tranchant largement avec la simple phase de stabilisation ou de normalisation prévue par la doctrine conventionnelle. En revanche, pour les armées non engagées - comme l'armée suisse - ou pour celles qui envoient avant tout leurs forces spéciales dans ces conflits, il n'y a pas d'incitation impérieuse au changement. On y perpétue l'idée que l'approche classique a fait ses preuves et que le combat traditionnel reste la mission centrale, le défi principal des armées. Comme si le monde n'avait pas changé.

Un exemple tiré des processus de commandement utilisés en Suisse, mais présents dans bien d'autres armées, est à cet égard éloquent. Lorsque l'on procède à l'appréciation de la situation, on distingue l'analyse du milieu et l'analyse de l'adversaire, respectivement de la partie adverse, alors même que l'un et l'autre sont largement indissociables. Lorsque l'on se penche sur le milieu, on s'intéresse d'abord aux axes, puis aux obstacles, puis aux compartiments de terrain, avant de se soucier d'aspects particuliers (population civile, météorologie) pour conclure par l'identification du terrain-clef. On s'intéresse à bleu (nous), à rouge (l'adversaire), au terrain, aux délais et à la mission : le reste n'existe pas. Y compris sur les calques savants établis en cours de travail.

Les réponses à ces carences criantes sont dans l'ensemble connues : ajouter des cartes politiques et thématiques aux cartes géographiques, intégrer la notion de permissivité, qui combine précisément le terrain et les acteurs, ou encore procéder à des analyses en réseau de ces acteurs. Cependant, 18 ans après la chute du mur de Berlin, et donc après la fin d'un face-à-face militaire primant sur tout le reste, les méthodes de travail des armées en restent largement inspirées. Et les missions tactiques que l'on donne aux éléments de mêlée, bien souvent, se conjuguent en verbes tels que barrer, tenir, garder, protéger, surveiller, explorer, voire user et détruire. Influencer, dissuader, diviser, encadrer, voire normaliser ou développer, ne font pas encore partie du vocabulaire militaire. Nous y viendrons...

mardi 25 décembre 2007

Un premier message

Ce blog n'est autre qu'une solution transitoire : depuis le début du mois de décembre, mon blog créé voici 3 ans - http://www.ludovicmonnerat.com/ - est inaccessible en raison d'un problème technique majeur. C'est ce que m'a expliqué mon informaticien, avec lequel je n'ai malheureusement plus de contact depuis quelques jours. Il existe donc un risque réel que les quelque 1100 billets et 16000 commentaires figurant sur mon blog soient perdus.

Dans l'intervalle, et pour répondre aux nombreux messages demandant gentiment de mes nouvelles, j'ai donc décidé d'ouvrir une adresse toute provisoire pour continuer cette démarche générale consistant à tenir un bloc-notes intellectuel sur le web. Ces quelques semaines de silence auront au moins été profitables pour réfléchir sur l'évolution récente de mon blog et sa prise d'assaut par des commentateurs de moins en moins enclins à suivre l'idée générale ayant présidé à sa création.